23 janvier 2007
quelque chose de très problématique, de vague et d’enchanteur
« En écoutant du banc la voix ensommeillée et monotone du professeur d’italien, auquel par-dessus tout je ne pouvais pardonner d’avoir mal parlé d’Ungaretti dans un volume sur la littérature du XXe siècle, je me disais que la carrière de l’érudit, la carrière de l’historien de la littérature italienne, ne pouvait absolument pas être pour moi. Mais l’art, en revanche ?
L’université, c’était l’étude, c’était l’ennui, la poussière, le fastidieux académisme. D’accord. Mais l’art ? L’art, c’était Ungaretti, les vers de l’Allegria, quelque chose de très problématique, de vague et d’enchanteur. Comme la vie. Comme l’avenir qui se trouvait devant moi. Comme le tennis et les amours… Ne pouvait-on fonder sa propre vie sur des choses comme celles-là ? »
Giorgio Bassani, « Un vero maestro », Opere.
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07 janvier 2007
Derrière la porte
« Je le regardais ; et soudain, là, dans l’air immobile et flamboyant, je me sentis parcouru d’un étrange frisson de froid. Je ne comprenais pas bien : je me sentais mal à l’aise, comme exclu soudain de quelque chose, et pour cette raison, envieux, petit, mesquin…
Et si, au contraire, je lui avais parlé, à Luciano ? pensais-je en moi-même, en fixant, tenté, ce maigre dos solitaire que le soleil déjà faisait rougir au niveau des épaules. Si, acceptant l’invite qu’il m’avait faite un moment plus tôt sur la plage, je m’étais décidé et nous avais mis brusquement, lui et moi, en face de la vérité, de toute la vérité ? Le vent du large ne commencerait pas à rider l’eau avant une heure au moins. Si je l’avais voulu, le temps ne m’aurait pas manqué.
Seulement, au moment même où, devant ce maigre dos nu, soudain pur, inaccessible dans sa solitude, je m’abandonnais à ces pensées, quelque chose pourtant devait déjà me dire que si Luciano Pulga, lui, oui, était certainement capable de la regarder en face, la vérité, toute la vérité, moi, je ne l’étais pas. Lent à comprendre, cloué depuis toujours à un destin de désespoir et de tristesse, la porte derrière laquelle une fois de plus je me cachais, ce n’était même pas la peine de songer à l’ouvrir. Je n’y parviendrais pas. Ni maintenant, ni jamais. »
Giorgio Bassani, Derrière la porte.
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